Les carnets d'Hitler
Hambourg, 25 avril 1983. C'est un grand jour pour Gerd Heidemann, reporter au journal « Stern ». Sous l'oeil des caméras du monde entier, le journaliste fait une révélation fracassante : ces carnets noirs qu'il brandit sont en effet les journaux intimes d'Adolf Hitler !!!
Stern se trouverait en possession de 62 tomes affirme le journal. 62 tomes qu'on croyait disparus en 1945 dans un accident d'avion près de Dresde, mais que Gerd Heidemann a réussi à récupérer.
Ainsi entre 1932 et 1945, Adolf Hitler y aurait consigné ses pensées les plus intimes. Des écrits qui doivent bientôt faire l'objet d'une série spéciale, publiée en exclusivité par le magazine Stern.
Un vent d'euphorie souffle sur la direction de Stern. Peter Koch, rédacteur en chef, va même jusqu'à évoquer que cette découverte obligera à réécrire en grande partie l'histoire du troisième Reich.
Pour appuyer ses dires, Stern a convié des historiens de renommée internationale. Pourtant, certains émettent aussitôt des doutes sur l'authenticité des documents. L'hebdomadaire rétorque que des expertises graphologiques auraient démontré sans ambiguïté qu'il s'agit de l'écriture d'Hitler. Plusieurs journaux étrangers dont « Paris Match » ont déjà mordu à l'hameçon et racheté les droits.
Dans les jours qui suivent, le monde entier se querelle à propos de l'authenticité des manuscrits. Mais Stern ne se laisse pas démonter et publie 3 jours plus tard, le 28 avril exactement, les premiers extraits des carnets d'Hitler. Les 1,8 millions exemplaires publiés partent comme des petits pains.
Une semaine plus tard, le 6 mai, alors que Stern revient sur les carnets dans un 2ème numéro et que Paris Match en fait sa « Une », c'est la douche froide : tout est faux ! Le journal d'Hitler est une falsification et Stern a été victime d'une énorme supercherie.
Le coup de grâce est venu de la direction de la police judiciaire allemande : elle démontre que les matériaux utilisés datent indiscutablement de l'après-guerre. Le scoop du siècle s'effondre comme un château de cartes. Les preuves, qui s'accumulent, toujours plus nombreuses, révèlent que Stern s'est fait piéger par un « faux grotesque et superficiel ».
Le contrefacteur est rapidement identifié. C'est un prétendu collectionneur, Konrad Fisher qui se fait appelé Konrad Kujau. En réalité Kujau est un faussaire qui s'est spécialisé dans la reproduction de fausses reliques nazi. Le commerce de souvenirs nazi est très florissant et il adore duper les collectionneurs en leur vendant des reliques factices pour des sommes faramineuses. Fabriquer ce faux journal sera à la fois son « oeuvre » la plus payante de toutes ses opérations.
Avec les années, Kujau s'est constitué une bibliothèque importante de plus de 500 livres et ouvrages ayant trait à Adolf Hitler. C'est ainsi que notamment il apprit à recopier l'écriture du Führer. C'est ainsi aussi que l'idée d'un « faux journal intime d'Adolf Hitler » a germé dans son esprit. Pour que son oeuvre soit plus authentique, il récupère de vieux cahiers scolaires trouvés en Allemagne de l'Est. Il a besoin d'environ 5 heures pour compléter un livre. Dans un premier temps, Kujau n'avait rédigé que quelques carnets. Mais voyant que le journal Stern s'y intéressait de près, il reprit aussitôt la plume, surpris lui-même par la crédulité de la presse. En 3 ans, il achève la rédaction de 62 carnets qu'il vend ensuite au magazine via Gerd Heidemann pour 9,3 millions marks.
Après les parutions des premiers volumes, beaucoup de journalistes, d'historiens et même d'anciens nazis commencèrent à exprimer leurs doutes quant à l'authenticité des documents. Rapidement, la pression internationale devint pressante et le journal Stern décida de faire tester les manuscrits.
La nouvelle tomba rapidement, tous les documents, de la première à la dernière page étaient faux. Absolument tout. Le plus grand scoop de l'histoire était un faux, et le magazine allemand ne put qu'en endosser la responsabilité.
Ce qui ressemble à un mauvais canular a été le plus gros scandale de l'histoire de la presse allemande. Guidés par l'appât du gain, les responsables de Stern ne s'étaient que trop empressés de croire que ce qui les arrangeait.
L'affaire n'en resta pas là. Stern fut contraint de présenter des excuses publiques. Les rédacteurs en chef démissionnèrent. La confiance des lecteurs ébranlée fit chuter durablement les ventes du magazine.
Le journal « Stern » traîne encore cette histoire aujourd'hui, même si aucune des personnes travaillant à l'édition et à la rédaction de l'époque n'y travaille encore aujourd'hui.
Le faussaire Kujau et le reporter Heidemann comparurent devant la justice en 1985 et furent condamnés à 4 ans et 6 mois de prison.